Jerome A. : Quels conseils aimeriez-vous donner au gardé à vue dans l'état actuel de la garde à vue (GAV) ? "Ne dites rien, dans 24 heures vous pourrez préparer votre défense avec votre avocat, dans de meilleures conditions" est-il un bon conseil ?
Maître Eolas : Le droit de garder le silence est en effet un droit fondamental. C'est d'ailleurs sans doute pour cela qu'il n'est plus notifié aux gardés à vue depuis 2002. Le problème du système actuel de la garde à vue est qu'il est très difficile pour l'avocat de savoir quel est le meilleur conseil à donner à son client. Mais il est vrai que dans le doute, garder le silence est souvent la meilleure chose à faire.
jean : Quel pays est pour vous un modèle en matière de garde à vue ?
Maître Eolas : Je ne connais pas de manière détaillée et pratique le système de garde à vue des autres pays, il est donc impossible pour moi de répondre à cette question.
camille m : Que dit précisément la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme concernant la présence d'un avocat pendant la garde à vue ? Qu'est-ce qui contrevient à la Convention et à la jurisprudence en droit français ?
Maître Eolas : Le droit français ne permet pas à l'avocat d'exercer toutes les prérogatives de la défense telles que détaillées dans l'arrêt Dayanan contre Turquie. Le point principal est que l'avocat n'a aucun accès au dossier de la procédure. Il ne peut pas connaître les éléments à charge et en informer ainsi son client. C'est une défense à l'aveugle qui ne permet donc la mise en place d'aucune stratégie de défense.
jean : Que pensez-vous de la garde à vue des mineurs ?
Maître Eolas : C'est un sujet dont la presse s'est fait l'écho récemment. C'est une mesure qui parfois s'impose, mais qui doit être à mon sens employée avec discernement. Or, dans l'affaire de la jeune Anne, comme dans d'autres affaires non médiatisées que j'ai eu à connaître et dont j'ai parlé sur mon blog, la mesure apparaît totalement disproportionnée. Un mineur est une personne qu'il faut protéger avant tout, et une garde à vue peut être une expérience extrêmement traumatisante.
Cinquo : Quelle est la validité d'une GAV (autorisée pour les besoins de l'enquête) à la suite d'une infraction routière, dès lors que les éléments constitutifs de l'infraction ont été relevés (vitesse, alcoolémie) et alors que le GAVé ne sera même pas entendu durant son séjour ?
Maître Eolas : La décision de placer en garde à vue est prise par l'officier de police judiciaire [OPJ] au tout début de l'enquête, généralement au moment de l'interpellation qui suit la commission de l'infraction. On ne peut pas demander à l'OPJ de deviner par avance si la mesure sera vraiment utile ou pas. En matière d'infractions routières, la personne doit être retenue le temps de vérifier son identité, que le véhicule est en règle, et si elle est en état d'ivresse, qu'elle dessoûle et qu'une personne vienne la chercher. La garde à vue peut donc se justifier, du moins dans certains cas.
Mussipont : Comment faire comprendre aux policiers que ce n'est pas leur travail qui est mis en cause mais la législation ? Comment les faire adhérer à une nécessaire évolution de la GAV et des méthodes d'enquête ?
Maître Eolas : A chaque réforme de la garde à vue (1993 et 2000), on se heurte au même conservatisme de la part des organisations syndicales. Il ne me paraît pas autant partagé que cela dans le corps des officiers de police, d'après les discussions que j'ai pu avoir avec eux. Leur premier souci est de garantir leurs responsabilités, ce qui peut se traduire par un excès de précautions attentatoires aux libertés (menottage, fouille à nu, mise en cellule), leur deuxième souci étant un souci d'efficacité de la procédure. Il est vrai que l'exercice des droits du gardé à vue prend du temps, qui s'impute sur la durée maximale de la garde à vue (quarante-huit heures). Enfin, ils craignent que la présence de l'avocat ne fasse obstacle au passage aux aveux, qui est le premier objectif recherché en garde à vue. Sur ce dernier point, ils seront surpris de constater que bien souvent, l'avocat conseillera à son client de reconnaître les faits. La vérité étant souvent la meilleure défense.
marc : Pensez-vous qu'une amélioration des conditions de la GAV en faveur des droits de la défense aurait un impact sur le "taux d'élucidation" ?
Maître Eolas : Oui, probablement. En faisant baisser le nombre d'erreurs judiciaires. Après tout, une erreur judiciaire reste une affaire élucidée pour les statistiques.
mrnico : Quels sont les moyens pour le gardé à vue de savoir si ses droits sont bien respectés ?
Maître Eolas : Chacun de ses droits fait l'objet d'une mention dans les procès-verbaux. L'OPJ indique à quelle heure le médecin a été appelé, à quelle heure l'avocat est intervenu, à quelle heure l'avis à famille a été fait, et naturellement, la notification de ses droits fait l'objet d'un procès-verbal à part entière. C'est aussi le rôle de l'avocat, lors de l'entretien de trente minutes, de s'assurer que ses droits ont été respectés et, au besoin, de formuler des observations par écrit.
iznogood : Peut-on interroger et mener une enquête sans privation de liberté (même un tout petit peu...) ?
Maître Eolas : Demandez à Julien Dray. Le code de procédure pénale connaît une enquête que l'on appelle "enquête préliminaire". C'est de ce type d'enquête que Julien Dray a fait l'objet. Cette enquête peut se passer par des convocations au commissariat, qui ne supposent pas nécessairement de placement en garde à vue. La garde à vue s'impose dès lors qu'une contrainte quelconque est exercée sur la personne. Mais tant que la personne entendue est libre de mettre fin à l'audition et de partir quand elle le souhaite, il n'y pas garde à vue.
Kaleane : Pensez-vous que les procureurs, en n'exerçant pas correctement leur devoir de contrôle sur la GAV, ont leur part de responsabilité dans les dérives actuelles ?
Maître Eolas : Les procureurs exercent nécessairement un contrôle, puisqu'ils doivent être informés de toute garde à vue dès le début de celle-ci. Le moindre retard peut entraîner la nullité de la procédure. Il est vrai que la loi met en plus à leur charge l'obligation de visiter périodiquement tous les locaux de garde à vue de leur ressort et au moins une fois par an. Mais cette obligation est matériellement impossible à exécuter, eu égard au manque de moyens, et notamment le nombre insuffisant de magistrats, qui n'a quasiment pas évolué depuis le début du XXe siècle.
Il n'y a donc aucune mauvaise volonté de leur part, mais juste une incohérence du législateur, qui leur impose de plus en plus d'obligations sans leur donner les moyens de les exécuter.
Laurent : Les propositions de la chancellerie (audition "libre", prise de connaissance des procès-verbaux par l'avocat au bout de la douzième heure) sont elles satisfaisantes ?
Maître Eolas : Non, car comme à chaque fois, on ne nous donne que la moitié de ce qui nous est dû en le faisant passer pour un cadeau. En 1993, quand l'avocat a pu intervenir pour la première fois en garde à vue, cette intervention a été repoussée à la vingt et unième heure, sans aucune explication quant à ce chiffre. A la suite d'arrêts très clairs de la CEDH, ce délai a été ramené à la première heure en 2000. Pourquoi repousser à la douzième heure l'exercice effectif des droits de la défense, alors que de toute évidence, ils doivent pleinement s'exercer dès le début ? Hormis ménager un délai pour obtenir des aveux, je ne vois aucune explication.
DJKweezes : Avez-vous déjà vu des personnes déstabilisées ou traumatisées par leur GAV ? Cela a-t-il eu une influence sur leur défense ?
Maître Eolas : Oui, énormément. En fait, tous ceux qui n'ont pas l'expérience de la garde à vue, c'est-à-dire tout le monde sauf les délinquants endurcis. J'ai vu des gardés à vue paniqués, en larmes, ou totalement dépressifs. Je me souviens de gardées à vue qui avaient leurs règles mais n'avaient même pas de serviette hygiénique à se mettre. Je me souviens également d'un père de famille paniqué à l'idée que personne ne puisse aller chercher sa fille de 4 ans à la sortie de l'école.
Je vous laisse imaginer leur état d'esprit et comme ils étaient prêts à signer n'importe quoi pour pouvoir sortir au plus vite.
Toutes les erreurs judiciaires ou presque naissent en garde à vue.
Pierre K : Concrètement, pensez-vous que les barreaux en France pourraient assurer la défense préconisée par la CEDH, à savoir, au minimum, l'assistance de l'avocat lors des auditions ? Ne peut-on craindre une justice encore plus à deux vitesses ?
Maître Eolas : L'argument de la justice à deux vitesses ne me paraît guère pertinent, car il revient à vouloir une défense de mauvaise qualité pour tout le monde au nom de l'égalité républicaine. Déjà en 1993 on disait que les avocats ne pourraient jamais assurer une présence en garde à vue. En 2000, on disait qu'il était impossible qu'ils soient disponibles dès la première heure. Pourtant, les avocats ont assumé leurs responsabilités dès le premier jour. Cette charge incombe aux avocats et ce sera à nous de nous débrouiller ou d'assumer les reproches qui nous seraient faits.
La différence n'est pas tant une question de moyens du gardé à vue que d'organisation matérielle du barreau. A Paris, cela ne posera aucun problème car nous sommes vingt mille avocats pour un ressort qui s'étend sur une seule ville ; il est vrai que le barreau de la Creuse aura beaucoup plus de difficultés à assurer une présence effective dans tout le département. A chaque barreau de s'organiser.
Mussipont : Question pratique : que risque-t-on à refuser au cours de la GAV la fameuse et humiliante fouille à nu ?
Maître Eolas : Juridiquement, rien, tant que cette désobéissance ne s'accompagne pas de violences. En république, le citoyen n'est tenu d'obéir qu'à la loi. Or à ce jour, aucune loi n'oblige un citoyen à montrer ses parties intimes à un policier qui en fait la demande, même poliment. Tout au plus cela risque-t-il de mettre l'officier de police judiciaire de mauvaise humeur et de rendre l'ambiance plus tendue. Néanmoins, cette désobéissance n'est pas un délit, pas plus que de refuser de répondre aux questions ou de signer les procès-verbaux.
Chericleon : Quelle est, selon vous, une GAV idéale ?
Maître Eolas : Une garde à vue au temps strictement nécessaire, permettant au gardé à vue de se reposer effectivement, notamment de dormir, et où le temps passé à attendre ne se passe pas nécessairement en cellule, et sans qu'on lui ait retiré ses effets personnels comme ses lunettes de vue. Actuellement, un gardé à vue se verra confisquer un simple livre avec lequel il serait venu et qui, pourtant, serait un compagnon de cellule fort apprécié. Enfin, il va de soi que le comportement des policiers se doit d'être courtois, ce qui est le cas la plupart du temps.
PHILGAID : Est-ce que la garde à vue n'est pas aussi une garantie pour le mis en cause de voir ses droits exercés (médecin, avocat, famille) ?
Maître Eolas : Absolument. C'est pourquoi les avocats soulèvent souvent une nullité tirée de l'absence de placement en garde à vue, ce qui est souvent mal compris par le parquet. Mais il suffit de garder à l'esprit qu'une garde à vue n'est absolument pas nécessairement synonyme de menottage, fouille à nu, confiscation des effets personnels et placement en cellule. Dès lors qu'une personne n'est pas libre de quitter le commissariat où elle se trouve, elle doit être considérée comme en garde à vue, même sans avoir fait l'objet d'un quelconque menottage ou placement en cellule.
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