Florent-Emilio Siri a 42 ans. aprés avoir réalisé «Une minute de silence» (1998), «Nid de guêpes» (2002) et «Otage» (2005).Il vient de signer un film fort, tiré du livre documentaire de Patrick Rotman, l'ennemi intime.
Dans ce livre l'auteur nous livre une trentaine de récits et témoignages souvent à la limite de ce qui est supportable, d'hommes qui ont été confrontés à toute l'horreur de la violence : torture, exactions, sévices , viols, exécutions sommaires, pendant la guerre d'algérie,qui opposa de 1954 à 1962 , la France colonisatrice (présente en Algérie depuis 1830) aux indépendantistes algériens (principalement regroupés autour du Front de Libération National - F.L.N.).
Pour la plupart , lls avaient vingt ans et ce fut l'age le plus terrible de leur existence. Engagés ou appelés , ils ont été jetés dans ce chaudron infernal que fut la guerre d"algérie. Jusqu'en 1999 la France nomma ce conflit "opération de police" ou "opération de pacification ou de maintien de l'ordre. et pourtant , 100 000 soldats y laissèrent la vie et entre 300 000 et 600 000 civils algériens périrent également.
De ces récits , Florent-Emilio Siri signe un film qui dérange parce qu'il nous renvoit aux aspects les plus noirs de l'âme humaine. Ce film décrit l'arrivée en Kabylie, en 1959, le parcours puis la mort d'un jeune lieutenant (Benoît Magimel) , sous le regard d'un sergent (Albert Dupontel) qui semble blasé et revenu de tout .Tout est vu à travers le regard de ce personnage qui survivra à ce conflit.
C'est un film de guerre mais ce n'est pas que cela.
Les premières images du film jètent brutalement le spectateur dans les affrontements des protagonistes, (un groupe d'hommes commandé par le jeune lieutenant et les partisans de l'indépendance de l'algérie), les tirs à bout portant, les corps à corps sanglants sur fond de crapahutage et d'ambuscades dans les montagnes de Kabylie. Ce n'est pas un maintien de l'ordre ou une mission de pacification que doivent accomplir les soldats français mais bien une guerre d'occupation et une chasse sans pitié des indépendantistes au milieu des civils qui deviennent les otages et les victimes des deux camps.
La violence des affrontements , l'utilisation par les troupes françaises du napalm, les tortures des prisonniers et des civils, les exactions des uns et des autres dans les villages (viols, exécutions etc....) c'est le quotidien effroyable de tous ces hommes. Des hommes qui souffrent dans leur corps et leur âme, des hommes qui doutent du bien fondé du conflit, des hommes qui pleurent lorsqu'ils découvrent les charniers de civils ou les corps affreusement brûlés au napalm de l'ennemi, mais des hommes aussi qui assistent silencieux aux tortures des civils , aux viols aux executions et qui comme le sergent se saoulent à mort pour oublier....
Parmi ces hommes , un lieutenant ,bourré d'idéalisme , qui refuse que ses hommes participent à ces exactions et qui peu à peu sombre et se transforme un soir de folie en tortionnaire
Et puis, il y a la pression de certains supérieurs hiérarchiques qui justifient les tortures ,assistés et conseillés par d'anciens résistants à l'occupation allemande et qui eux mêmes ont été pris et torturés
il y a aussi les algériens qui ont combattu et participé à la libération de la France et qui se retrouvent en face , en ennemi dans le coté des indépendantistes
Il y a des harkis qui combattent au coté des soldats français et qui ne sont déjà plus algériens et qui ne deviendront jamais français.
Toutes ces ambiguités sont admirablement soulignées dans le film comme la lente tranformation de ce jeune lieutenant qui deviendra bourreau à son tour et qui gagnera sa rédemption par sa propre mort , les yeux grands ouverts en souriant à ce jeune algérien qu'il avait peu de temps auparavant sauvé de la mort, et qui se retrouve maintenant parmi les ennemis qui viennent de l'abattre..
l'ennemi intime n'est ce pas celui qu'on a au fond de soi ? celui qui tranforme un homme ordinaire en bourreau? celui qui transgresse toutes les barrières éthiques et nous enlèvent toute humanité?
vous ou moi nous pourrions devenir au gré des évenements de l'histoire des bourreaux et c'est en cela que le film de Florent-Emilio Siri est dérangeant...